CELA FAIT VINGT-CINQ ANS que je vois la notion de « sustainable » prendre un temps fou pour s’installer concrètement ; elle n’est pas encore acquise, même si le concept est critiquable.
Au bord des routes, je vois toujours des maisons se construire en briques de parpaing épaisses comme un cheveu, très loin de toute considération pour une isolation intelligente…
Cela dépasse l’entendement. On voit bien que le chemin est long concernant d’une part l’évolution des esprits et d’autre part l’application de nouvelles pratiques, sans parler des lois qui voient le jour quand ça leur fait plaisir (sans pour autant être toujours appliquées d’ailleurs).
CELA FAIT QUINZE ANS que je parle d’intelligence collective en prêchant dans le désert. Et voici que, tout à coup (disons depuis la crise de 2008), jaillit un sursaut de conscience – renforcé par quelques scandales qui sortent peu à peu, après plusieurs décennies de ravage. Mais surtout parce que commence à se faire sentir la facture du gaspillage des ressources finies de la planète. Voici que des notions dites « nouvelles » jaillissent de tous côtés, comme s’il fallait trouver des solutions rapidement. Certes, il bien est temps de faire vite !
Tout est lié, mais il est souvent assez difficile de le faire comprendre : les gens ont du mal à imaginer l’impact occasionné par leur mode de vie. Un impact qui rejaillit peu ou prou (et de plus en plus) sur leur propre vie. La période qui se termine, a offert en abondance tout ce que l’on pouvait imaginer et sans autre effort que celui de « jeter ».
Transition : on n’a plus le temps de négocier le virage
Le virage est forcément violent. De plus en plus d’individus se réveillent et prennent le nouveau (bon) train en marche. Mais il reste un grand nombre d’indécrottables, parmi lesquels souvent des élus, des fonctionnaires détenteurs, à un rythme extrêmement lent, d’une validation (partenariat, voire financement), dont nous avons parfois besoin pour aider au développement justement de ces « nouvelles » idées, solutions, concepts, projets, quelle que soit l’appellation. Les initiatives sont mises en place uniquement lorsqu’elles sont rentables… En attendant, peu importe qu’il y ait des morts.
Exemple avec les voitures électriques dont on parle depuis plus de trente ans et dont on se doute de la raison de leur non développement sur le marché, alors que l’essence et autre diesel utilisés sont bourrés de produits toxiques, que tout le monde respire.
Cela dit, le sujet de l’électricité – de l’énergie en général – est tout aussi épineux tant que le nucléaire reste dangereux, les alternatives, pourtant possibles, ne se développant qu’au rythme d’un escargot affligé d’un lumbago… C’est la question du besoin et de l’usage de la voiture, dans son ensemble, qui apparaît plutôt au centre de la problématique.
Or, encore une fois, tout est tellement imbriqué, qu’il est bien difficile, sur le terrain, de changer ce modèle économique à bout de souffle. Des mondes, des visions, des façons de voir les choses se heurtent, s’affrontent, se distancent tout en vivant sur un même territoire. Cela engendre frustration d’un côté (que les choses n’aillent pas plus vite car les visionnaires savent qu’il y a urgence) et inefficacité de l’autre.
Particulièrement en France, pays bien connu pour son immobilisme (d’où de nombreuses expatriations, que je comprends).
Le combat le plus ardu à mener est d’arriver à combler le fossé entre d’un côté la dynamique et les changements perçus sur le terrain (cf. les fablab qui se reproduisent comme des petits pains dans le monde entier, les Amap, ou les alternatives sous forme d’écovillages, etc.) et de l’autre, les sempiternels discours archaïques suivis de mesures non moins inadaptées des gouvernants français (qui ne gouvernent pas grand-chose à vrai dire), quelle que soit leur couleur politique, tous issus du même sérail et dotés des mêmes codes. Une seule route, ou plutôt une seule devise : la croissance droit devant.
Des mondes qui se croisent sans se comprendre
Mais comme cela ne marche plus, il y a forcément comme un hiatus et une tension entre deux mondes, le monde d’hier (sans vouloir paraphraser Zweig) et celui de demain, qui connaît aujourd’hui une sorte de tâtonnement où toutes les nouveautés (idées, concepts, innovations, état d’esprit), sont jetées dans un même vortex (affublé du nom générique de « transition ») avec en toile de fond, telle une épée de Damoclès, les problèmes cruciaux liés à l’impact de notre environnement devenu pourri.
Ce fossé des générations formatées (quelles qu’elles soient d’ailleurs) se sont prises dans les filets de leur propre croyance, habillée d’un ego dont il est difficile de se départir dans cette société de l’image, où justement, tout est fait – tel le concept de personal branding – pour parler de soi, en vue de se vendre. Mais quel avenir aurons-nous gagné si l’air est irrespirable, l’eau non potable, les sols empoisonnés ?
Ce fossé n’est pas toujours celui des générations d’ailleurs, mais plutôt celui qui séparent ceux ayant compris l’enjeu de devenir raisonnable et ceux qui ne veulent rien voir, donc rien lâcher. Ce sont eux qui nous envoient dans le mur, alors que l’on peut faire autrement, et depuis longtemps. Le problème majeur étant la notion de profit, au cœur même du problème, de cette transition qui doit pourtant se construire un pont afin d’enjamber la faille de ce monde actuel dont les coutures craquent de tous les côtés.
Afin de « transiter » en douceur – chacun sait que cela prendra du temps, un temps que nous n’avons plus face au défi –, il faudrait d’abord que la majorité des homos sapiens puisse se remettre en question. Or, la culture et le formatage, la religion et le mimétisme, la paresse, le confort et les habitudes sont tenaces surtout quand la vie est courte.
Le fossé sera-t-il comblé un jour ?